Pourquoi ni les coachs ni les webmarketeurs ne parlent de politique (et pourquoi moi je le fais)

Il est peu courant qu’un coach en développement personnel parle ouvertement de politique. Et comme dès cette première phrase d’aucuns brandiront un « Mais tout est politique ! » de rigueur, répondons avant toute chose à cette question : qu’est-ce que la politique ?

D’abord, le cadre lexical

D’après mon fidèle Larousse 2006, le mot politique, utilisé en tant que nom, a trois sens :

1/ Ensemble des options prises collectivement ou individuellement par le gouvernement d’un État ou d’une société dans les domaines relevant de son autorité. 2/ Manière d’exercer l’autorité dans un État ou une société. 3/ Manière concertée d’agir, de conduire une affaire ; stratégie. « avoir une politique des prix »

Il est intéressant de noter la proximité des sens 1 et 2. Le dictionnaire ne manque pas de préciser que le mot politique vient du grec Politikos, de polis, ville. Wikipédia va plus loin et distingue Politikos, Politeia et Politikè.

Pour ce qui est des définitions prises par le mot politique lorsqu’il est utilisé comme adjectif, on trouve :

1/ Relatif à l’organisation du pouvoir dans l’état, à son exercice. 2/ CARTOGR. Carte politique : carte représentant les pays et les régions en tant qu’États ou autres entités administratives. 3/ Litt. Habile, intéressée. « une invitation toute politique »

La troisième définition est là encore remarquable. Qui n’a jamais entendu un salarié dire au sujet de sa vie professionnelle « je ne fais pas de politique » ? Il y a même des livres consacrés aux entretiens d’embauche qui déconseillent formellement de tenir ces propos devant un recruteur potentiel. Affirmer « ne pas faire de politique » peut être interprété comme « je ne vais pas dans les faux-semblants et l’hypocrisie, je vais au conflit » ou plus simplement « je ne suis pas carriériste, donc peu dévoué à mon employeur ».

Que pouvons-nous retenir de ces multiples définitions ? On observe d’abord la récurrence des notions d’organisations et de pouvoir. On y trouve aussi une dualité entre le collectif (état, entités administratives, action concertée) et l’individuel (stratégie, habilité, conduite intéressée). On constate enfin la variété du champ d’application : société, État, entité administrative, pays, et finalement, individu. Ceci nous amène à une première découverte : le titre de mon article contient une affirmation erronée. Promouvoir l’entrepreneuriat comme peut le faire un spécialiste du webmarketing ou un coach qui incite son public à devenir entrepreneur, c’est déjà faire de la politique. Même Christophe André fait de la politique, quand il consacre un chapitre entier de son livres Les états d’âme à ce qu’il appelle « la maladie matérialiste ». Et si vous trouvez que ces exemples concernent plus l’art de vivre (le lifestyle, comme disent les anglophones) que les règles d’organisations sociales et l’exercice du pouvoir, que dire du travail de Marshall Rosenberg sur la communication non-violente dont un des principes est de ne jamais dire oui quand on pense non ? N’être ni rebelle ni soumis, voilà bien une philosophie qui impacte directement l’exercice du pouvoir.

Néanmoins, revenons à l’exemple du webmarketing et du coach qui encourage les membres de son audience à devenir entrepreneurs. Cela n’est pas en soi un acte militant – encore que – mais c’est déjà un créneau marketing qui sous-entend qu’il est légitime d’entreprendre, de faire de l’argent, et que la propriété n’est pas un cancer que l’on doit abolir [n.b. : on ne rit pas, il y en a qui voient la nationalisation des moyens de production comme seul remède aux maux de l’humanité et il y a aussi des gens assez motivés pour coller des affiches « je suis royaliste, pourquoi pas vous ? » dans ma ville, alors…]. C’est donc le fruit d’une certaine vision de la société, et cette vision se situe dans un cadre politique implicite. Encourager les membres de son audience à devenir entrepreneurs, c’est donc en soi un positionnement politique (même si ce dernier est inconscient).

Quant à Christophe André, le simple fait qu’il publie des livres de psychologie visant à la fois à divertir et à donner à ses lecteurs des outils de bien-être présuppose là encore quelques évidences politiques. Parmi ces évidences, le fait qu’un psychiatre ait le droit de poursuivre une carrière de vulgarisateur en dehors des circuits habituels de publication scientifique sans que cela le discrédite professionnellement, et le fait qu’il est admis dans la société française que l’individu peut légitimement rechercher un épanouissement personnel qui peut entrer en opposition à certains a priori relatifs au bien commun.*

* consommer moins, privilégier la méditation et les randonnées aux achats compulsifs, c’est mauvais pour la croissance du PIB dont les professionnels de la politique font pourtant un prérequis à la rectitude de la société en dépit du bon sens (la croissance n’est pas synonyme de qualité de vie pour les citoyens, voir sur ce point le paradoxe de l’Erika)

Vous pourriez être tentés de croire que je démontre moi-même que « tout est politique mon bon monsieur ». Et bien… ce n’est pas faux. Pourtant, force est de constater que la politique est un sujet clivant, à tel point que certains coachs en séduction prônent d’éviter à tout prix le sujet lors d’un premier rendez-vous galant. Reformulons donc les choses ainsi : il est peu courant qu’un coach en développement personnel ou un infopreneur parle de politique clivante.

Les allants-de-soi culturels du coaching

S’il est si peu courant de voir la politique clivante abordée dans les contenus gratuits – articles ou podcasts – des coachs en webmarketing ou en développement personnel, c’est pour deux raisons.

La première, c’est la croyance en l’auto-détermination des individus, leur puissance à se changer. Ceci est une croyance typique du développement personnel productiviste, qui est imprégné du mythe du self-made man états-unien. Orienté résultats et incarné par des personnages comme David Laroche ou Tony Robbins, ce courant du développement personnel met l’accent sur le pouvoir de l’individu, sa puissance voire sa toute-puissance, toute-puissance imaginaire revenant à une pensée magique dont on touche le climax dans les tristement célèbres lois de l’attraction. Or, une personne dont le credo est « c’est votre choix, c’est vous qui créez votre réalité » n’a aucun intérêt à parler de choix sociétaux ou de l’impact de l’environnement sur les trajectoires individuelles. Dans l’orthodoxie productiviste, je crée ma réalité. *

* notez qu’il y a un fond de vérité dans cette emphase, mais un fond seulement : en psychologie comme en biologie, l’inné n’est rien sans l’acquis, et réciproquement

L’autre raison, c’est tout simplement la stratégie commerciale. Plaire au plus grand nombre implique de se limiter aux affirmations lénifiantes (soyons en bonne santé, vivons en harmonie avec la nature, la guerre c’est mal) et d’éviter les sujets qui fâchent. D’où cette tendance marketing à attaquer de fausses cibles et à faire des déclaration faussement choquantes, comme lorsque un coach enregistre une vidéo dans laquelle il révèle qu’il se drogue… au café (ce qu’on appelle familièrement « faire du putaclique »). Et effectivement, si votre cible marketing est suffisamment bien définie, inutile de la braquer quand votre simple spécialisation sur un thème – la photo, le seo, la confiance en soi, que sais-je encore ? – réduit déjà le nombre de vos clients potentiels.

You’ve got to be polarizing !

La question finale devient donc la suivante : pourquoi prendre le risque de hérisser les poils d’une partie mon audience comme lorsque je m’attaque à la loi El Khomri ou que j’affirme que « nous sommes tous capitalistes » ?

Commençons par l’élément de réponse le plus trivial : on ne peut pas plaire à tout le monde. Je comprends évidemment qu’un entrepreneur qui lance son activité cherche à maximiser les profits. Néanmoins, plaire au plus grand nombre n’est pas une solution, en particulier lorsque notre matière première est l’humain. C’est le cas dans le coaching, où la plus grande valeur ajoutée du coach, après ses compétences mesurables, est sa personnalité, et où la matière au centre du processus d’évolution est bel et bien une personne, en l’occurrence le client. Vous pourriez être tentés de considérer le webmarketing différemment, mais s’il est vrai qu’un webmarketeur vend plutôt des protocoles de travail et des outils informatiques, la prépondérance de l’humain reste au cœur de la pratique d’accompagnement.

And the big picture is…

Ceci posé, passons à un second élément de réponse, plus méta celui-ci, et qui réside dans la définition de ce qu’est le développement personnel. Petit rappel, sur Hors Norme et Accomplis et dans le cadre plus global de ma vie, j’utilise la définition suivante : « Le développement personnel représente un ensemble de courants de pensées et de méthodes librement choisies destinées à améliorer la connaissance de soi et du monde, valoriser les talents et les potentiels, améliorer la qualité de vie, réaliser ses aspirations et ses rêves ».

Améliorer la connaissance de soi et du monde… par exemple en étudiant nos biais cognitifs pour percevoir le monde avec plus de justesse, et étudier ceux des autres pour nous protéger des arguments biaisés ou des sophismes. Or, la chasse aux biais cognitifs et aux sophismes qui s’appuient sur eux jette inévitablement une lumière nouvelle sur les débats électoraux et autres discours politiques produits sur les plateaux de télévision ou en meeting.

Valoriser les talents et les potentiels, améliorer la qualité de vie ? Nous n’avons pas de baguette magique : avoir en main les études scientifiques qui montrent l’impact positive de la réduction du temps de travail à la fois sur le bien-être des salariés et sur leur productivité ne suffit pas si les personnes qui légifèrent ou managent penchent en faveur de la semaine de 48h. En fait, de même que je me permets de parler de politique à mon audience, il faudrait parler de développement personnel aux hommes politiques et aux personnes de pouvoir. *

* certains hommes politiques ont un pouvoir de plus en plus réduit face à l’impact des grandes entreprises (GAFA, industries agroalimentaires ou pharmaceutiques) d’un côté et d’institutions supra-nationales comme la commission européenne de l’autre, donc il est autant pertinent de promouvoir le développement personnel auprès des dirigeants de Facebook ou Danone que de le faire auprès des ministres de tel ou tel pays

Est-ce à dire que la pratique du développement personnel implique une activité militante ? Pas au sens classique du terme. Si vous voulez vous investir dans telle ou telle organisation, cela vous regarde et ce n’est pas à votre coach d’intervenir dans ce choix, sauf si cet investissement vous paraît contradictoire avec vos objectifs de vie et que vous sollicitez les conseils de votre accompagnant pour éclaircir ce choix. Par contre, à partir du moment où tout est politique, travailler sur nous et augmenter notre connaissance du monde est un acte engagé.

La permission de faire preuve de bon sens

Étudier les organisations humaines (par exemple à travers un outil comme Spiral Dynamics) amène à mettre les évolutions humaines en perspective. Bien malin celui qui pourra prédire avec exactitude le rythme des changements sociétaux, et bien naïf celui qui croit que son militantisme accouchera d’une révolution. En effet, notre investissement dans tel ou tel mouvement est lui aussi à replacer dans une époque, un conditionnement sociologique, etc. Est-ce un aveu d’impuissance ? Non. Ni impuissance, ni toute-puissance, n’en déplaise à Tony Robbins.

Il ne s’agit pas de nous placer dans la tradition victimaire française pour nous dédouaner de notre marge de manœuvre individuelle. Oui, c’est à nous de tirer le maximum du présent. Oui, c’est aussi à nous qui voulons augmenter notre connaissance de la partager avec les autres plutôt que de fermer les yeux sur les sophismes des hommes de pouvoir et l’irrationalité de l’économie. Comme le dit si bien Shimi Kang : « We, humans, are in a place of paradox, we do need science as permission for common sense » .

Une réflexion au sujet de « Pourquoi ni les coachs ni les webmarketeurs ne parlent de politique (et pourquoi moi je le fais) »

  1. Merci pour tous ces articles intéressants !
    J’ai choisi tout particulièrement ce billet pour commenter parce que le titre m’a frappée. Je travaille dans le domaine du développement personnel / coaching et j’essaie de cultiver une posture de « coaching conscient » (pas auto-centré).

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