Multipotentialité, comment j’ai refusé de choisir

Multipotentialité comment j'ai refusé de choisir

Êtes-vous concerné-e par la multipotentialité? Si vous vous intéressez au développement personnel, vous tomberez inévitablement sur ce nouveau concept. De même que l’hypersensibilité ou la douance, l’étiquette « multipotentialiste » est à la mode. Popularisée par Emilie Wapnick depuis la création de son site Puttylike en 2010, la multipotentialité désigne le fait que certaines personnes ont de multiples centres d’intérêt et sont capables de mener des carrières parallèles dans des domaines en apparence éloignés les uns des autres. Ce schéma serait particulièrement présent chez les surdoués (« a pattern found among intellectually gifted individuals »).

Wapnick n’a pas conçu ce mot. Sa première occurrence connue remonte à 1972, sous la plume d’un certain R. H. Frederickson. Impossible de trouver une biographie du bonhomme et de savoir s’il était psychologue, coach ou médecin, mais il publiait régulièrement dans le Journal of Counselling and Developpement qui est toujours publié de nos jours. Il semblait s’intéresser en particulier à la douance et au haut potentiel (Preparing Gifted and Talented Students for the World of Work).

Pour lui un multipotentialiste est une personne qui « lorsqu’on lui fournit les environnements adéquats, peut sélectionner et développer plusieurs compétences jusqu’à un niveau élevé » (« when provided with appropriate environments, can select and develop a number of competencies to a high level » *).

* Source : https://livingdeepstudio.com/2010/11/23/creative-blocks-or-multipotentiality/ 

 

Depuis Frederickson, Wapnick et tous les blogueurs qui se sont engouffrés dans cette brèche théorico-marketing le répètent : la société occidentale actuelle ne comprend pas ce type de profil et ne lui fournit pas l’environnement nécessaire à son épanouissement. Depuis le système scolaire qui pousse à la spécialisation à partir de l’enseignement secondaire jusqu’au monde professionnel qui couple cette spécialisation à un investissement horaire à « temps plein » – le temps qui nous reste alors est-il un temps vide ? – la multipotentialité semble effectivement inadaptée à la norme culturelle qui est la nôtre.

 

Multipotentialité face à l'école et sa spécialisation imposée
Tu veux faire quoi quand tu seras grand-e ? Choisis bien, car tu n’auras droit qu’à une seule voie. La société te propose un destin unidimensionnel.

 

Le droit d’être soi

Lorsque j’ai vu le Ted Talk de Wapnick, j’ai eu les larmes aux yeux. Vous le savez si vous êtes un-e fidèle de mon travail, j’étudie la psychologie et plus globalement les sciences humaines depuis bientôt vingt années. Je suis un musicien passionné depuis plus longtemps encore. Je m’intéresse aux sciences « dures » – ces dernières s’entremêlent de plus en plus avec les sciences humaines et il serait aujourd’hui difficile d’imaginer la psychologie se passer des neurosciences – autant qu’au game design. Ainsi, des sciences aux arts, il n’y a qu’un pas que le développement personnel enjambe assurément.

J’aime répéter cette phrase de Shimi Kang, « we, humans, need science as an excuse for common sense ». C’est pour cela que le Ted Talk de Wapnick m’a enthousiasmé autant qu’il m’a ému. Dans un monde devenu depuis longtemps monomaniaque de la spécialisation, avoir recours à un concept comme celui de la multipotentialité peut nous donner une assise pour revendiquer notre droit à l’accomplissement. A l’heure où j’écris ces lignes je travaille sur mon 4ème disque solo, et j’en ai déjà trois autres en chantier. Parce qu’un de mes objectifs de vie est de réaliser la bande originale d’un jeu vidéo, j’entrecoupe mon travail de composition originale d’exercices où je recrée des ost déjà existantes. Une manière, aussi, de faire connaître ma musique à plus de personnes.

Le concept de multipotentialité est simplement un outil. C’est un support pour celles et ceux qui auraient besoin d’en passer par là pour se convaincre que leur fonctionnement est légitime. J’ai toujours eu plusieurs passions, et j’ai toujours adoré apprendre. Pendant mes études, j’ai réussi à glisser différents centres d’intérêts au sein de mes projets de mémoires, l’œuvre de Philip K. Dick pour la psychologie clinique et la scène hardcore new-yorkaise pour l’ethnomusicologie. Mais à une échelle plus large, mon envie d’une vie multiple entrait en conflit avec l’idée de spécialisation inhérente aux emplois qualifiés. A l’époque où je cherchais un hôpital pour mon effectuer mon stage de Master 1, j’ai rencontré une psychologue qui serait peut-être mon superviseur. Quand je lui expliquais pourquoi j’avais choisi de valider ma licence et ma maîtrise en deux années au lieu d’une, elle me fit remarquer avec espièglerie « en fait votre problème c’est que vous avez trop de passions là où d’autres n’en ont pas assez ».

Effectivement, entre mes projets d’écriture, mon goût pour la musique, mes études et mon envie de quitter la ville pour rénover un corps de ferme en Dordogne, j’étais tiraillé. Faire le même métier 40 heures par semaine pour le restant de mes jours me paraissait intolérable. Mais c’était une autre époque. Tim Ferris n’avait pas encore publié La semaine de 4h et personne ne savait ce qu’était un digital nomad. Nous sommes bénis de vivre à l’ère informationnelle. Et même si beaucoup de recruteurs ont encore du mal à intégrer le concept de slasheur, la société change. Il est plus facile de s’accepter et de faire valoir son droit à l’authenticité. Désormais, si la société vous chuchote que vous êtes incapable de choisir, vous pouvez répondre « non, je suis simplement multipotentialiste ».

 

Multipotentialité : les multipotentialistes sont des êtres aux multiples centres d'intérêt
Et vous, votre multipotentialité elle s’exprime comment ?

 

Accomplissement ou efficacité ?

Mon travail artistique a un impact direct sur mon activité de coach. J’ai choisi d’axer le travail de Hors Norme et Accomplis sur la libération des potentiels créatifs. Or, créer une entreprise est un acte aussi créatif que l’écriture d’un film. Mon approche de multipotentialiste me pousse à regarder les choses à un niveau transdisciplinaire. Cela me permet de voir les points communs entre le développement d’une application fait par une start-up et la démarche de transition professionnelle engagée par un particulier. Certains se plaisent à citer le discours de Steve Jobs à Stanford en 2005. Ce dernier y racontait trois anecdotes, précisant « the first story is about connecting the dots ». Je ne suis pas un fan de Jobs, mais effectivement, connecter les points confère une vraie valeur ajoutée à celles et ceux qui en sont capables.

D’aucuns pourraient objecter que la notion de multipotentialité est un caprice de millennial, la manifestation égocentrique des membres de la Génération Y. Je répondrais d’abord que l’accomplissement de chacun-e est fondamental. De même que l’argent doit être au service de l’humain, l’économie et l’entrepreneuriat doivent être au service du bien-être. Dans le cas contraire, nous sommes uniquement dans l’asservissement et l’aliénation*. Ce genre de remarque (« un caprice de millennial« ) est archétypal d’une vision du monde selon laquelle nous sommes sur terre pour souffrir, pour nous sacrifier au service de la société. Précisons de suite que ce n’est pas l’apanage du catholicisme, de façon plus profonde cela correspond en Spiral Dynamics au méta-système BLEU D-Q. Or, cette vision du monde est encore extrêmement répandue dans la population. Pour beaucoup d’adultes limités par ce méta-système, vouloir s’épanouir au travail est un caprice. Un véritable syndrome de Stockholm de la part de ces personnes qui, ayant été malheureuses au travail toute leur vie, n’imaginent pas que nous puissions avoir un destin différent.

* Aliénation au sens le plus pur : être étranger à soi même.

 

Vous savez ce qui est intéressant ? Je parlais de game design plus haut. Et bien l’approche transdisciplinaire chère aux multipotentialistes n’est ni un gadget ni un caprice. Les studios qui développent des jeux vidéos commencent à faire appel aux neurosciences pour optimiser l’expérience utilisateur des joueurs. Connecting the dots, une fois de plus. Selon votre environnement professionnel, vous pourrez plus ou moins facilement faire valoir cette interdisciplinarité. Travailler dans le développement personnel quand on est multipotentiel, c’est un peu tricher. Le développement personnel est en effet transdisciplinaire par nature. Saviez-vous que l’apprentissage, quel que soit le domaine, permet de stimuler la fabrication de neurones ? Et savez-vous que parmi toutes les disciplines artistiques existantes, la musique nécessite une activité cérébrale à nulle autre pareille ? Ce qui veut dire que lorsque j’interprète une œuvre musicale, je développe mes capacités cérébrales.

 

Multipotentialité et sens des priorités

J’ai refusé de choisir entre le coaching et la musique, entre le sport et l’entrepreneuriat, certes. Mais cela ne signifie pas que la discipline est à bannir. Le scénario que je prépare depuis plus d’un an pour le jeu de rôle L’appel de Cthulhu avance très lentement parce que mon hygiène de vie, ma musique et mon entreprise passent avant. Ma musique elle-même passe parfois après Hors Norme et Accomplis, pour d’évidentes raisons financières (Christopher Nolan ne m’a pas encore demandé de remplacer Hans Zimmer, mais cela ne saurait tarder). Le sport, pratiqué sur une base régulière, me sert à garder un équilibre physique et mental face à l’ampleur de ce que je dois accomplir professionnellement.

Il faut distinguer multipotentialité et dispersion, multipotentialité et fainéantise. Savoir se fixer des objectifs, établir des priorités entre nos innombrables centres d’intérêt est vital si nous voulons que notre multipotentialité reste une force. L’être humain a besoin du sentiment d’accomplissement. S’éparpiller permet difficilement d’atteindre des objectifs ambitieux. Autorisez-vous à explorer toutes vos passions, mais effectuez un tri par ordre de priorité. Cela vous permettra de prioriser certaines aventures et de les mener à un niveau d’aboutissement qui vous laisse le sentiment d’avoir réellement accompli quelque chose.

4 réflexions au sujet de « Multipotentialité, comment j’ai refusé de choisir »

  1. Moi non plus je n’ai pas choisi 😉
    Texte très intéressant. Je me reconnais beaucoup dans ce que tu écris. Notamment dans l’intérêt pour les sciences humaines, l’art, dans l’envie de créer, etc.
    Au plaisir de te relire 🙂

  2. Salut,

    Merci beaucoup pour cet article, il me parle énormément. J’ai mis longtemps étant jeune à savoir ce que je voulais faire, passant de petit boulot en petit boulot, et puis un jour je me suis dit, tiens pourquoi pas l’éducation, j’ai commencer ma première formation à 20 ans. à 23 ans je l’ai terminé, j’était en quelque sorte éducateurs, mais à un niveau un peu « inférieur » (c’est en suisse, je ne connais pas l’équivalence en France).

    J’était donc éducateur, entre temps j’avais entrepris d’apprendre le chinois, et je suis partie en Chine pour découvrir ce pays et vivre ma passion pour les arts-martiaux, j’ai également fait du rap pendant 10 ans de mon adolescence, pris des cours de théâtre, appris un nombre de choses diverses dans un tas de domaines différents. Je me suis intéressé à la nutrition, au corps en général à son fonctionnement, à la vidéo, aux voyage, à la sociologie, la psychologie, et à la spiritualité (qui est un besoin très prégnant chez moi) aussi (taoïsme, bouddhisme zen, etc.. ) J’ai essayé de faire une liste des sujets qui m’intéresse et elle ne prennent jamais fin.

    L’autre jour une réflexion m’est venue : si je n’avais pas besoin d’argent, je me sentirais pas mal, je ne culpabiliserais pas, je ferais juste des tas de choses différentes sans avoir à me poser de questions. Mais le fait est que nous devons travailler, et qu’il faut que je fasse entrer cela dans l’équation. Mais voilà, j’ai l’impression ne rien connaître assez bien pour pouvoir le vendre, de ne rien vouloir choisir de particulier surtout, j’aimerais des fois juste être immergé dans mes passions, crée et voyager, rencontrer, mais je me sens parfois coincé, et devant ce constat, j’opte malheureusement bien souvent pour l’inaction, pas toujours évidemment, mais parfois. De temps en temps je règle une petite blessure intérieur, ou je fais tomber une croyance limitante et ça m’aide un peu, mais globalement j’ai quand même le sentiment d’être face à des choix à faire et aucune réelle décision et action ne vont vers ça. J’ai l’idée d’un blog, une idée qui pourrait tout simplement être celle de partager mon évolution, mes découvertes, sans prendre une position d’expert justement , qui pourrais allier ma passion pour la vidéo, la photo (oui je pourrais l’agrémenter de vidéo), la recherche, la philosophie taoïste (mais pas que) , les langues (enfin pour l’instant surtout le chinois et l’anglais), le développement personnel, les voyages, la cultures, la compréhension du monde aussi , l’éducation, l’apprentissage en général etc… mais j’arrive pas à relié tout ça entre eux, pour moi il n’y a pas vraiment de séparation entre tout ça, tout me semble lié, mais je crois qu’un blog du genre, serait trop confu, et je me demande si ça pourrait marcher. Imagine moi vendre du contenu sur la langues chinoise et sur le développement personnel dans un même blog, c’est curieux ? non? (encore une fois si je n’avais pas besoin d’argent pour vivre, je crois bien que ce genre de question me serait inconnue)

    Enfin voilà, j’avais envie de te partager mon expérience, et te remercier pour ce que tu fais, j’espère réussir un jour à trouver mon équilibre dans tout ça, par ce que c’est parfois angoissant de ne pas trouver sa place.

    Salutations à toi!

    Jon 🙂

    1. Bonjour Jon.
      Merci pour ton témoignage.
      Pour répondre à ta question, ma formation sur la procrastination s’adresse à ceux qui ont déjà un projet et qui procrastinent sa mise en oeuvre. Dans ton cas il me semble que la problématique c’est plutôt de trouver ton nouveau projet professionnel et pour l’instant je ne vends pas de formation sur ce sujet (mais ça va venir). Si tu as envie d’un coup de pouce pour clarifier ta recherche de projet tu peux me contacter par mail (via la page Facebook, c’est là que je suis le plus réactif, mais si tu n’utilises pas la plateforme tu peux utiliser contact@horsnormeetaccomplis.fr ).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *