La Semaine de 4 heures a changé ma vie. Je vous en épargne la fiche de lecture chapitre par chapitre puisque les résumés du livre de Timothy Ferris fleurissent sur le web, en particulier sur les blogs consacrés à l’entrepreneuriat. Ici je m’intéresserai uniquement à la philosophie qui est à l’œuvre derrière La semaine de 4 heures. L’aspect « guide pratique » sera ignoré, qu’il s’agisse de la section « questions et actions » qui termine chaque chapitre ou des ressources proposées en fin d’ouvrage. L’identité du meilleur service de répondeur automatisé changera sans doute moins régulièrement que les mystérieux algorithmes de Google, mais elle changera tout de même tôt ou tard. Quant aux exercices de développement personnel parfois grotesques proposés par Ferris comme celui consistant à s’allonger au milieu du trottoir pour se détacher du regard d’autrui, ils n’ont pas leur place ici. Intéressons-nous donc au fond du livre plutôt qu’à ses ressources techniques.
I/ La philosophie de La semaine de 4 heures
Le propos déployé par Ferris tout au long de son livre peut se résumer ainsi :
1/ Travailler à temps plein dans un emploi qui nous rend malheureux est absurde.
2/ Attendre la retraite dans l’espoir de jouir de la vie après avoir perdu nos plus belles années dans l’emploi en question est tout aussi absurde.
3/ Il faut donc devenir son propre patron.
4/ L’entrepreneuriat aboutissant pour beaucoup à des charges de travail encore plus élevées que dans le salariat, vous devez apprendre à optimiser votre productivité. Le titre « La semaine de 4 heures » sous-entend que cette productivité peut être multipliée par 10.
5/ Le summum de l’optimisation consiste à automatiser votre activité et par là même vos revenus.
Même si m’adresse aux francophones du monde entier, pour ma part je vis en France depuis bientôt quarante ans. Ainsi, je suis particulièrement familier du logiciel français consistant à critiquer la réussite des autres et à penser que « l’argent c’est le mal ». Moi-même, j’ai longtemps eu un rapport ambivalent à l’argent. Ce problème de culpabilisation ne concerne certes pas tous les français mais il est bien présent dans notre culture. C’est pourquoi la stratégie de vie proposée par La semaine de 4 heures est clivante.
Le mensonge méritocratique
La culpabilisation du rapport à l’argent s’articule avec deux autres piliers sociétaux : le travail comme identité sociale, et la méritocratie. Si travailler est un devoir, il en découle que plus le travail est pénible plus cela fait de vous un citoyen vertueux, même si cette « vertu » implique d’être malheureux toute votre vie, de passer à côté de votre épanouissement et de vos rêves. Et si le travail a pour fondement l’utilité sociale, l’argent ne saurait être le but premier de votre activité professionnelle. Si vous n’avez pas encore lu mon article sur Spiral Dynamics, je vous invite à vous y rendre toutes affaires cessantes. Vous pourrez ainsi jouer à deviner quel méta-système de valeurs est à l’origine de la trinité culpabilisation-méritocratie-identité.
Pour un français non libéré, la proposition de Timothy Ferris relève du changement de paradigme total : l’argent c’est bien, vous pouvez même le gagner en faisant un travail que vous aimez et sans vous tuer à la tâche [1].
L’entrepreneur, hamster par erreur ?
Là où Timothy Ferris est encore plus révolutionnaire, c’est par rapport à l’idéal d’enrichissement traditionnel. Pour rendre explicite ce changement de paradigme, voici la parabole utilisée par Ferris dans La semaine de 4 heures :
Un homme d’affaire états-unien séjourne dans un coin paradisiaque avec sa famille. Sur la plage où il se promène, un villageois vend le fruit de sa pêche. L’homme d’affaire lui achète deux poissons. En les dégustant avec sa famille, il tombe en pâmoison devant leur goût exquis. Il retourne voir le pêcheur et lui propose un superbe business plan. Ce business plan repose sur le schéma qui va de soi depuis la révolution industrielle : vendre sa pêche et utiliser l’argent pour investir dans du meilleur matériel qui permettra de pêcher plus de poissons. Plus de poissons = plus de ventes, donc plus de profits. Réinvestir ces nouveaux profits pour embaucher de la main d’œuvre et acheter du matériel supplémentaire, le tout jusqu’à posséder une flotte de bateaux et pourquoi pas une franchise de poissonnerie. « Et à quoi cela me servirait ? » demande le pêcheur. « Et bien, au bout de dix années à ce tarif vous auriez tellement d’argent que vous pourriez passer le restant de vos jours à profiter de votre famille sur une plage ». « Ah quoi bon ? » répond le pécheur, « C’est déjà ce que je fais ».
Net et sans bavure. Timothy Ferris passera pour un odieux matérialiste qui ne pense qu’à l’argent aux yeux de certains. Mais si vous êtes inscrit à ma newsletter vous avez sans doute fait la paix avec l’argent et compris qu’il s’agit d’un outil à votre service [2]. Or, c’est justement le problème soulevé par Ferris : le schéma historique de l’entrepreneuriat consiste à travailler dur pendant des dizaines d’années. Même dans ce modèle de capitalisme méritocratique, l’argent ressemble beaucoup au travail : il est une fin en soi.

C’est ici que La semaine de 4 heures est un excellent support pour celles et ceux qui veulent changer leur vision du monde. L’argent doit être au service de notre épanouissement. Or, si pour l’obtenir nous travaillons 70 heures par semaine cet épanouissement paraît bien lointain, sauf à le faire dépendre de la validation sociale. C’est ainsi que Ferris s’applique à guider ses lecteurs vers ce qu’il appelle des « mini-retraites ». Une fois vos revenus automatisés, vous pourrez vous offrir des années sabbatiques régulières et découvrir de nouvelles expériences. Ferris insiste également sur l’importance de la sobriété, du minimalisme. Aux techniques d’optimisation du temps il adjoint donc des conseils en gestion de budget. Il préconise notamment de profiter du faible coup de la vie de certains pays non occidentaux en s’y installant ou en y sous-traitant certaines dimensions de votre activité économique.
La semaine de 4h heures, c’est un paradoxe. On y fait l’apologie de l’enrichissement, mais d’un enrichissement modéré qui ne se fait ni au prix de la liberté ni au prix de la santé. Une sorte de capitalisme slow life, loin du modèle traditionnel des paquebots industriels et des entrepreneurs paternalistes.
II/ La semaine de 4 heures, arnaque ou prophétie ?
Même si vous assumez votre goût de l’argent, les lignes qui précèdent vous ont peut-être mis mal à l’aise. Profiter du coup de la vie bas des pays moins développés que l’Europe et l’Amérique du Nord ? N’est-ce pas là le principe des viles délocalisations qui affaiblissent notre belle industrie nationale ?
Mettons les choses au clair. En tant que consommateur, cela me désole d’avoir le choix entre des magnifiques sneakers fabriquées par des enfants de 14 ans et des magnifiques sneakers fabriquées par des enfants de 16 ans. Mais cela me désole aussi que la caissière du supermarché où je fais mes courses soit payée au SMIC, et devinez quoi ? Je continue à y faire mes courses. Et vous savez ce qui me désolerait encore plus ? Devoir travailler pour le SMIC moi-même.
Ferris a-t-il inventé le capitalisme à visage humain ?
Tout dépend à qui vous poserez la question. Pour les gens qui appliquent sa méthode, la réponse est oui. Pour les secrétaires indiennes dont il préconise d’utiliser les services, probablement pas. Mais ces secrétaires, que leurs clients soient européens ou indiens, est-ce que cela change leur quotidien ?
Donc, de ce point de vue et à moins de croire à une révolte planétaire des travailleurs – et je n’ai vraiment pas le temps pour ce genre d’idéologie – le vrai problème que vous pourriez avoir est celui du chômage dans votre pays d’origine. Allez vivre en Inde ou en Thaïlande, n’est-ce pas faire s’évaporer une source de revenu pour les commerçants français ? Ce à quoi je vous répondrais que nous vivons dans un monde interconnecté et qui le sera de plus en plus. Je pense que le prochain saut des pays développés en matière de progrès social sera la robotisation massive et l’instauration d’un revenu inconditionnel au montant conséquent [3). Je suis favorable au transhumanisme. Je ne m’attends pas pour autant à des lendemains qui chantent, et en attendant de vivre dans le merveilleux monde de Star Trek je travaille dur pour accroître ma liberté. Si les cultures et les pays du monde arrivent à s’entendre pour adoucir le monde brutal dans lequel nous vivons j’en serais ravi. Si le niveau d’intelligence augmente et que le niveau de biais cognitifs diminue j’en serais plus ravi encore. Simplement, je m’astreins au réalisme. Nous vivons dans un monde complexe : j’essaye de faire avec la situation actuelle plutôt qu’avec une situation qui n’existe pas encore. Je vous suggère de faire de même.
Tim, fais ce que je dis pas ce que je fais ?
L’objet de cet article n’étant pas de s’attaquer à la complexité géo-stratégique et culturelle du monde, revenons-en aux polémiques plus ethnocentriques qui entourent La semaine de 4 heures.
Pour justifier de son hypothétique nature frauduleuse, les détracteurs de la recette Ferris objectent que ce dernier est un bourreau de travail. Ce à quoi Ferris répond qu’il offre à ses lecteurs le moyen de faire en 4 heures ce qu’ils font en 40, et que ces derniers demeurent libres de travailler à temps plein pour gagner dix fois plus d’argent. Une réponse excellente pour un reproche infondé. Ferris explique clairement dans son livre que le lancement d’un business automatisé passe par une période de travail intensif. L’idée est d’arriver le plus rapidement possible à la semaine de 4 heures, pas de nier le travail colossal qu’implique un démarrage entrepreneurial.
Quant au fait que Ferris soit un overachiever qui se vante au début du livre d’être conférencier à Princeton, champion de kick-boxing, coach pour médaillés olympiques, activiste et chercheur en asile politique (sic), acteur et archer en Asie, danseur de tango inscrit au Guiness Book des records… c’est sa névrose personnelle, pas la vôtre. À vous de choisir comment vous utiliserez vos mini-retraites. Méditer ? Peindre ? Marcher à 2 km/h à travers l’Ardèche ou escalader l’Everest ? Vous faire des orgies de films de super-héros en VOD ? C’est vous le patron [4].
III/ la journée de travail à la journée d’expression de soi
La question pertinente serait plutôt de savoir s’il est réellement possible de ne travailler que 4 heures par semaine. C’est ici qu’on revient à l’importance du changement de paradigme. À quoi bon déconstruire le lien entre travail et revenu si ce n’est pas pour abolir au passage le lien entre travail et pénibilité ? Si intituler son livre « La semaine de 4 heures » relève du génie marketing, c’est aussi une remarque acerbe sur le rapport qu’entretiennent les cultures occidentales envers le travail. Vous pouvez me dire que vous aimez votre travail, mais si c’est le cas vous êtes soit entrepreneur soit une minorité statistique : la majorité des salariés sont malheureux au travail. Partout dans le monde.
Et si vous étiez rémunérés pour faire une activité qui vous passionne tellement que vous l’exercez déjà sur votre temps de loisir ? Et si vous pouviez exercer cette activité en jouant selon vos règles au lieu de subir les caprices kafkaïens d’une hiérarchie incompétente ? Et si votre source de revenu augmentait le bien-être et la qualité de vie des humains autour de vous en plus de vous rapporter de l’argent ? Est-ce que vous appelleriez encore cela du travail ?

La vraie question est là. Les blogs consacrés au nomadisme digital vous expliqueront qu’il faut placer de l’argent dans l’immobilier et multiplier sites et affiliations pour avoir des revenus passifs. C’est tout à fait pertinent pour les personnes qui possèdent déjà le budget nécessaire. Mais pour celles et ceux qui n’en sont pas encore là, celles et ceux qui possèdent le capital d’une seule création d’entreprise, il faut choisir une activité qui répond aux conditions suivantes : passion, rentabilité, utilité. Et même si comme moi vous y passez 60 heures par semaine, ce ne sera plus du travail. Ce sera l’expression de votre personnalité et de votre potentiel. L’emphase mise par Ferris sur l’importance qu’il y a à se libérer du salariat est frappée au coin du bon sens.
La semaine de 4 heures n’est pas le guide ultime de la création d’entreprise. Ce n’est pas non plus le livre le plus abouti sur le webmarketing. C’est une porte d’entrée. Le point de départ d’un voyage qui pourrait bien vous mener dans un univers parallèle dont on ne vous a jamais parlé ni à l’éducation nationale ni dans les écoles de commerce. Si vous n’avez pas encore lu ce livre, je vous invite à vous rattraper dès maintenant.
2 réflexions au sujet de « La semaine de 4 heures : pourquoi il faut lire le livre de Timothy Ferris »
moi, j’ai commencé mais arrêter ce livre en cours de route, car ce que j’ai compris, c’est que pour travailler 4h par semaine, il faut des revenus qui ne sont pas issus du travail, enfin pas de son propre travail, mais de celui des autres. Il le dit, qu’il a une assistante qui bosse pour lui (à l’autre bout du monde parce que la main d’oeuvre est moins chère). Donc c’est du pur capitalisme ultra libéral sans visage humain, puisque dans son modèle, si certains, comme lui, peuvent bosser moins, c’est parce que d’autres, ailleurs, bossent plus…