J’ai testé pour vous : le harcèlement de rue

Harcèlement de rue j'ai testé pour vous - Hors Norme et Accomplis

Aujourd’hui je donne la parole à une amie afin qu’elle témoigne de son expérience du harcèlement de rue. Pourquoi aborder le sujet sur Hors Norme et Accomplis ? Je vous l’ai dit : augmenter votre connaissance du monde (après avoir augmenté la mienne) fait partie de mes missions. Or, j’ai mis du temps à accepter la réalité de comportements que je pensais ultra minoritaires et réservés à quelques cas sociaux alcooliques.

Petite mise en contexte : je suis né en 1980 et j’ai toujours vécu en milieu urbain. J’ai étudié en plein cœur de Paris pendant six longues années, dont quatre pendant lesquelles je vivais à quelques mètres de la gare Montparnasse. Je me promène en ville de jour comme de nuit et j’ai tendance à être hyper vigilant dans l’espace public, à la fois pour assurer ma sécurité personnelle et parce qu’il y a toujours à apprendre en observant les interactions humaines. Or, en 37 années d’existence les scènes de harcèlement sexuel auxquelles j’ai assisté dans la rue se comptent sur dix doigts. Pour cette raison, et aussi parce que les personnes qui témoignent du harcèlement ont souvent une crédibilité proche du néant (toute allusion à Marion Seclin est pure coïncidence), j’ai longtemps été dubitatif quant à l’ampleur de ce phénomène. Pour moi il s’agissait du comportement minoritaire de vieux alcooliques éméchés ou de jeunes délinquants racailleux. En me liant d’amitié avec des personnes ayant subit ces agressions multiples, j’ai eu la chance de pouvoir entendre des témoignages fiables. C’était la condition pour que je change de regard sur ce phénomène (sans que cela implique d’adhérer au concept de « culture du viol », je tiens à le préciser). Si vous étiez sceptiques ou l’êtes encore, sachez que je me porte garant du témoignage qui va suivre. La parole est à Nancy G.

 

« La première fois que ça m’est arrivé j’avais à peine 13 ans. Je rentrais du collège à moins de dix minutes de chez moi, un trajet habituel que je faisais tous les jours. Une voiture s’arrête, l’homme au volant baisse sa vitre et me demande quelque chose que je ne comprends pas bien. Je le fais répéter, ce qu’il fait en riant avant de repartir aussi brusquement qu’il était venu. Cet homme que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam venait de me demander combien je prenais. C’était la première fois qu’on me traitait de pute, loin d’être la dernière.

Quand maintenant j’entends que c’est normal de se faire harceler dans la rue parce que ma tenue serait une invitation, je suis en colère, et j’ai un peu envie de rire aussi. À 13 ans mon style vestimentaire n’avait rien d’une invitation, comme celui de maintenant d’ailleurs, mais surtout, j’avais 13 ans ! Seulement voilà, j’étais une fille, seule, dans l’espace public, donc pour beaucoup une proie, une marchandise qu’on peut reluquer sans gêne, critiquer, tâter parfois.

Cela vous paraîtra peut-être surréaliste, mais la réalité c’est qu’il ne se passe pas un jour sans que j’expérimente une forme de harcèlement à partir du moment où je passe plus de dix minutes hors de mon domicile. Florilège :

 

« C’est combien ? »

« T’es sûre qu’elle est pas un peu courte ta jupe ? »

« C’est normal que je te regarde, t’as vu ta gueule »

« T’es grosse mais je te baise ! »

« Files ton 06 où je t’en colle une »

« Hé salope ?!»

« Faut bien toucher avant de goûter »

« Toi je vais te violer ! Nos enfants seront magnifique »

«  […] Mais bien sûr que je te respecte sale pute ! »

« Tu suces ? »

« Belle femme vraiment »

« Si tu veux pas d’emmerde faut pas sortir de chez toi ma jolie »

« Pas la peine de regarder le plan, ma bite est juste à côté de toi »

« Eh miss ! Vous êtes charmante »

« C’est honteux de s’accoutrer comme ça »

« Ton corps j’en fais ce que je veux »

« Prête à baiser »

« Pas mal le sac à foutre »

« Je sais pas quel âge t’as mais tu le fais pas »

« Eh, la grosse ! »

« Déchet »

« Et le sourire c’est en option ? »

« T’es une bonne salope toi »

« Très belle »

« Charmante »

« Miaou ! »

« J’espère qu’un jour il vous arrivera quelque chose de grave, avec votre tenue ce serait normal ! »

« Sale chienne »

« Psst »

« Je te baise »

« Pour être aussi moche tu dois être lesbienne »

« Un gros cul parfait pour que je t’encule »

« Tu mérites une laisse »

 

Voyons voir ce que tout cela donne à l’échelle d’une journée, en l’occurrence le samedi 10 février 2018 :

11h45, je pars de chez moi et j’enclenche le chronomètre.

11h50, devant chez moi : un “Bonsoir” lancé par un homme dans la soixantaine.
11h57, bus 132 : un “Waow” lancé par un trentenaire.
12h14, bus 132 : les sifflements d’un autre trentenaire.
14h40, dans la boutique Lissac Opticien de la rue de Rivoli : rires après m’avoir pointé du doigt + “c’est quoi ça ?” par une femme dans la petite vingtaine.
15h30, rue de Rivoli : “sale pute”, homme dans la trentaine.
16h07, quai du métro 3, station Bourse. Je croise le regard d’un homme entre 25 et 30 ans sur le quai d’en face. Moins d’une seconde. Il se dirige précipitamment vers les escaliers arrive sur mon quai. Sans un bonjour, il m’aborde : “on peut parler?” “Non” “Dommage t’es mignonne “.

16h30, arrivée chez moi.

 

Mon corps, je ne l’aime pas toujours, pas souvent… par contre je l’utilise car il est à moi et à personne d’autre tant que je ne l’ai pas désiré ! Je fais ce que je veux avec, et si vous n’êtes pas d’accord, ce qui est votre droit, merci de ne pas me le faire remarquer, je ne vous ai rien demandé ! J’ai décidé de modeler mon corps selon mes goûts, mes envies, d’en faire une sorte d’arme, un moyen d’expression. Je suis grosse et j’assume plutôt de l’être. Ce n’est ni ça ni mes vêtements ou mes tatouages qui me définissent, si vous souhaitez vous arrêter à ça, c’est votre problème, mais foutez-moi la paix merci !

 

Not all men ? Not only men !

 

J’entends au loin le cri du social justice warrior me disant que je suis une victime du patriarcat, que les hommes c’est rien que des méchants et que la misandrie est l’avenir de la femme ! Je vais rire très fort, et ensuite je vais expliquer que non, il n’y a pas que les hommes qui ont ce genre de comportement. Au contraire. Si les commentaires masculins vont effectivement avoir un caractère sexuel ou de « séduction » les femmes ne sont pas en reste, ni dans les propos ni dans la violence. Une femme qui me souhaite le viol je trouve ça tellement plus blessant qu’un homme qui me ferait cette proposition. Le simple fait que je sois dans la rue semble leur donner le droit tout puissant de venir m’importuner, de me prendre en photo à mon insu, de me pousser voire me marcher délibérément sur le pied. C’est une violence plus insidieuse, qui fait souvent plus de mal d’un simple harceleur.

 

Ne croiser aucun regard

 

À force j’ai développé des techniques, comme beaucoup d’autres. Mettre mes écouteurs sans musique pour avoir l’air occupée en étant cependant en mesure d’entendre ce qui se passe derrière moi, faire mine de retrouver les gens que j’attendais alors que ce sont des inconnus qui en général comprennent vite la situation, descendre du bus immédiatement après avoir croisé un regard qui ne m’inspire pas confiance, essayer de ne croiser aucun regard. Je ne vais pas avancer de faux chiffres, mais les rares fois où je suis resté parce que « la flemme » ou parce que « pas le temps de prendre le bus d’après », je l’ai regretté. Presque toujours.

 

Il a sorti quelque chose… de son pantalon

 

Mars 2015, je rentre chez moi après un concert. Opéra – Bussy Saint Georges, quarante minutes de RER ça va passer vite. Il est 23h30, le wagon est plein aux trois quarts. Je m’assoie sans faire attention aux gens, je suis sur mon petit nuage post concert. Par réflexe je mets mes écouteurs et je ferme les yeux. Puis je sens qu’on me donne des petits coups de genoux ; c’est peut être quelqu’un qui me demande pardon pour sortir et que je n’entends pas. J’ouvre les yeux, il est en face de moi il me regarde avec un grand sourire. Il ne veut pas sortir du train mais il a effectivement sorti quelque chose, de son pantalon. Les coups de genoux se font plus insistants, je regarde ailleurs, pour trouver une autre place. Du monde est monté entre temps, pas de place. Pas de place, mais des gens qui le regardent faire, me regardent, certains amusés, d’autres dégoûtés… pourtant pas un ne bouge, il est minuit moins vingt tout le monde est fatigué, ou s’en fout c’est pareil. Je change de place à Val de Fontenay, le reste du trajet se fait sans encombre. Mais j’ai mis du temps avant de refermer les yeux dans les transports.

 

Pardon, mille fois pardon, la prochaine fois je me laisserai faire

 

Il n’y a pas de typologie précise pour ce genre d’agression : en plein jour, de nuit, des jeunes, des vieux, seul ou à plusieurs, que je sois seule ou pas. Alors oui, c’est un peu plus facile à gérer quand je suis avec des potes ou avec mon frère taillé comme une armoire. Mais je suis souvent seule alors parfois j’improvise… les gens ne s’attendent pas à ce que je réponde, en général ça suffit à les faire fuir, ils n’avaient pas prévu ma rébellion dans leur plan d’approche. Pourtant il y a des fois ou ça ne marche pas. Certains sont juste des trolls trop avides d’interaction pour lâcher l’affaire une fois que je les ai envoyé promener. Il arrive aussi que certains se vexent, ce qui est assez drôle quand on y pense. Ils peuvent alors devenir violents, ce qui est forcément moins drôle. Je n’ai plus qu’à espérer que je puisse m’enfuir, ou que quelqu’un intervienne. Ce qui est encore trop rare, et qui parfois me met plus en colère que l’agression en elle-même.

Bien sûr que tout le monde ne peut pas se mêler de la vie de tout le monde, par contre quand une personne exprime verbalement ou non son inconfort dans une situation, en public, je trouve ça normal de lui venir en aide. Je ne demande à personne d’en venir aux mains, parfois quelques mots suffisent. Toujours est-il que certaines fois où j’ai élevé la voix pour me sortir d’une situation désagréable, d’autres gens que mon agresseur s’en sont pris à moi car je troublais leur moment de sérénité ferroviaire. Pardon, mille fois pardon, la prochaine fois je me laisserai faire sans protester, promis ! Je tendrai l’autre joue, car je l’ai mérité ! Vous avez raison ! Je ne devrai pas sortir de chez moi seule, c’est de ma faute, les gens n’ont d’autres choix que de s’en prendre à moi ! Allez vous faire foutre.

 

Comptabiliser ces interactions n’aurait de toute manière pas d’autres effets qu’une augmentation de ma consommation d’antidépresseur

 

Je ne peux évidemment pas tous les citer, parce que je ne me souviens pas de tout, j’ai d’autres choses à retenir que ces incidents qui font pourtant partie de mon quotidien. Comptabiliser ces interactions n’aurait de toute manière pas d’autres effets qu’une augmentation de ma consommation d’antidépresseur. C’est important d’en parler mais c’est impossible de se concentrer uniquement sur ça. Ce n’est pas comme ça qu’on améliorera la situation.

Se déplacer est devenu un véritable parcours du combattant pour beaucoup de femmes, et sans délivrer un message moralisateur je trouve qu’il est de notre responsabilité à tous de ne pas considérer cette situation comme normale ou acquise et de tout faire pour stopper ça. Je vois passer dans les médias beaucoup de choses qui me font peur ou que je trouve dangereuses. La stigmatisation n’aidera en rien, la justification des actes encore moins !

Aujourd’hui voilà ma réalité. En 2018 il m’est dangereux de sortir dans la rue car je suis aux yeux de certains un bien de consommation à acquérir, un épouvantail, une freak qu’on devrait exposer, une « honte pour la France ». Ce qui m’arrive n’est pas de ma faute, je n’ai pas à culpabiliser pour ça. Je ne vais pas changer ma manière d’être ou de me déplacer pour avoir la paix, ce serait m’avouer vaincue… et ça c’est hors de question. J’ai réussi à intégrer ces informations même si ce n’est pas tout le temps facile de s’en souvenir et de le mettre en action. Mais il le faut, parce que je refuse que ma conduite soit dictée par des inconnus. Je refuse d’avoir peur ! »

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